Le Plus Bel Ete 01

Informations sur Récit
Où l’ingénue Charlotte surmonte ses inhibitions.
7k mots
4.18
46k
1
Récit n'a pas de balises

Partie 1 de la série de 3 pièces

Actualisé 03/18/2021
Créé 06/21/2009
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PAS DE PORTE

La cloche battait de son rythme lent et sombre à l'église de Châteauneuf lorsque je remontai ce soir là au village après mes derniers soins. En sortant de la voiture, j'avisai la mère, sa silhouette frêle et tremblante coincée sur une chaise bancale et mal rempaillée sur le seuil de la maison, le long de la route autrefois nationale.

-- Quelqu'un est passé au village, aujourd'hui?

Son chef émacié aux yeux égarés, sous la touffe filasse des cheveux gris, opina en tressaillant.

-- Le parisien... près de l'école...

Le flot des souvenirs me submergea brusquement. Le « parisien ». Xavier. Celui qui... celui que... Enfin bref. Le seul qui avait compris. Qui m'avait comprise. Puis l'éveil. La folie.

Tout ceci me ramenait vingt ans en arrière, alors que je me traînais comme une âme en peine dans les rues désertes et surchauffées du village, à supporter les agaceries d'adolescent boutonneux de mon frangin et de ses potes. Selon les instants de la journée, il me fallait l'escorter vers le terrain de jeux que le maire du village avait fait installer derrière la mairie, à la Soulane, ou au contraire revenir à la maison, après d'invraisemblables détours. Et le soleil du midi qui nous tapait dessus à coups redoublés.

C'était l'année du bac et de mes dix-neuf ans. Je n'étais pas précoce. Je n'étais précoce en rien. Déjà pas sur le plan scolaire ; je venais par ailleurs de rater mon permis de conduire ; quant aux amours... Je dois dire que je ne savais même pas de quoi il s'agissait. Peut-être fuyais-je cette réalité. Un effet de mon subconscient. J'étais la fille d'une mère seule. Oh! Bien sûr, je connaissais mon père. Un type vraiment bien. Il avait eu le temps de lui faire mon petit frère. Et il nous avait reconnus tous les deux. Je crois que lui, il voulait épouser Maman. Mais elle n'a rien voulu savoir. La peur de l'inconnu? Papa a retrouvé une autre chérie. Qui m'a fabriqué une petite sœur. Tout ça a explosé en vol. La seconde chérie s'est envolée avec un étalon plus efficace. S'ils ne sont pas encore divorcés, c'est qu'il faudrait payer un avocat. Et de son côté, Maman s'est peu à peu enfoncée dans sa déprime. Déjà qu'elle n'était pas grosse, il ne lui est plus resté que la peau et les os, à la mère. Et moi cloîtrée dans un village de deux cents habitants lorsqu'il fait beau. A vingt-cinq kilomètres de la première bourgade un peu vivante. Pas de quoi rêver à la bagatelle. De toute façon, je ne voyais pas pourquoi m'aventurer pour aller me fourvoyer dans une catastrophe nucléaire qui, si je regardais mes parents, me paraissait d'une certitude absolue.

Pourtant, les gens disaient que j'étais un beau brin de fille. Mais je ne m'en étais pas aperçue. Pour tout dire, je pensais exactement l'inverse. Et du coup, je rasais les murs pour ne pas me faire remarquer. Des jeans sans fantaisie. Des gros pulls l'hiver, ou l'été des T-shirt informes, et trois tailles au dessus de la mienne pour cacher mes gros seins. Et mes hanches de poulinière. Mon gros cul. Ensuite, il y avait mes lunettes... qui tentaient de rattraper une divergence que j'ai dans le regard. Des gros verres. Des montures à hurler.

Bon, allez, j'arrête, parce que je sens que je vais déprimer. Et avec la mère, ça suffit comme ça. Pas la peine d'en rajouter.

Et puis, ça devait être une question de génération, parce que de tous mes camarades d'école, honnêtement, il n'y en avait pas un ou une qui s'intéressait à moi. Comme je les regardais comme une conne, ceux qui étaient un peu plus délurés m'ignoraient totalement. Il y avait dans ma classe deux ou trois filles un peu canon, qui attiraient tous les regards et toutes les attentions. Les garçons se battaient presque pour sortir (coucher?) avec elles. Vu mon désintérêt apparent, et comme je devais reprendre le car tous les soirs pour rentrer au village, je suis toujours restée en plan. Alors, j'en avais pris mon parti.

Heureusement que j'ai un soleil dans ma vie! C'est ma grand-mère. Je l'aime. Je l'adore. Maminou. Elle est belle. C'est la maman de Papa. Avec le Papet, ils sont super tous les deux. Mais lui, il est plus distant. Elle, elle est chouette. Exigeante, mais tendre. On s'embrasse, on s'étreint, je laisse ma tête se nicher dans son épaule, je respire son parfum et elle me soutient. Je vais souvent la voir. C'est à l'autre bout du village. En plus, c'est une Maminou sportive! Quand ils sont revenus au pays, au moment ou le Papet a pris sa retraite, elle a exigé qu'il lui offre une piscine à côté de la maison. Le bassin n'est pas bien grand, mais dès le matin, Maminou fait des longueurs et s'entretient, avant sa partie de tennis. C'est comme ça qu'elle reste belle. Et bien sûr, pendant les vacances, moi aussi je peux passer des après-midis à me prélasser et à me tremper.

C'est chez eux que j'ai fait la connaissance de Xavier. Un soir de juillet, je passe chez Maminou pour bavarder avec elle. Je tombe en pleine réunion amicale avec un de leurs amis.

Xavier, c'est un vieux. Il n'a que des cheveux blancs. Il vient de perdre sa femme, et les grands parents le réconfortent en l'invitant à en partager le dîner avec eux. Il habite juste en face, à côté de la mairie. Dès que j'ai vu Xavier, il m'a fait une impression pas possible. D'abord, ce qui m'a frappée, c'est son regard bleu acier. Sous la crinière blanche, ça fait un effet! En réalité, il ne doit pas être si vieux que ça. Un visage presque sans rides. Mais bon, c'est pas un maigre. Et puis un sourire à craquer! La bonté dans le regard. Et quand il vous parle, c'est avec conviction, après vous avoir bien écoutée. Et j'aime ce qu'il nous raconte. Le Papet et lui ont parcouru le monde. Pas le même monde en réalité, mais ils échangent et se racontent leurs anecdotes respectives. Le Papet, c'est un africain. Il a passé toute sa vie là-bas. Xavier, chaque lendemain matin, il fallait qu'il parte à l'autre bout du monde pour résoudre ou négocier une affaire. Il a connu l'Arabie, la Corée, le Japon, les Etats-Unis, l'Argentine. Moi qui n'ai aucune idée de tout ça, je reste scotchée en les écoutant.

Xavier, c'est un drôle de type. Nous nous étions déjà retrouvés ensemble un après-midi autour de la piscine. Il était là, sur sa chaise de jardin, vêtu comme à son habitude d'une chemisette et d'un pantalon de toile, à déguster une boisson fraîche sous le parasol, en discutant avec Maminou. Le Papet faisait sa sieste.

Je nageais et m'ébrouais dans la piscine avec le frérot et d'autres de ses copains, ravis de l'aubaine.

A un moment, je suis sortie de la piscine à proximité de Maminou. Je me suis retournée et j'ai vu. Xavier me fixait ; on aurait dit qu'il me dévorait des yeux. Ce regard m'a chavirée. Mais que regardait-il donc ainsi? Mon gros cul? Mes grosses loches? J'ai l'impression qu'il suit toutes les courbes de mon corps, qu'il descend vers mon ventre... Je tremble. Mais peut-être est-ce parce que je suis toute mouillée. Et puis je l'ai entendu dire très distinctement à Maminou :

-- Christiane, vous avez une très belle petite fille!

Maminou a fondu et toute rose à répondu en se rengorgeant d'un air satisfait :

-- Ah! Vous trouvez? Mais c'est vrai qu'elle est belle!

Quand je suis rentrée à la maison, le soir, avant de m'endormir, j'ai repensé à ce regard, à sa réflexion. En y réfléchissant, j'étais bouleversée. Jamais je ne m'étais préoccupée d'un homme. Je les voyais parader, se rengorger, et puis je les trouvais trop brutaux, trop machos. D'ailleurs, aucun ne m'avait jamais adressé la parole pour me dire quelque chose de gentil. Et puis, je n'avais aucune confiance en moi. Penser que je pouvais plaire à un homme, qu'il puisse me trouver belle, me bouleversait totalement. Ce d'autant plus que de la part de Xavier, ça me paraissait gratuit. Pas intéressé. Tout comptes faits, il devait bien avoir quarante ans de plus que moi. Mais pour la première fois de ma vie, je me suis endormie en pensant à un homme, et en me disant que le reflet que j'avais eu de moi dans ses yeux était l'une des choses les plus agréables qu'il m'était arrivé de vivre.

C'est à la suite de cet incident que nous avons fait plus ample connaissance. Je me souviens, cet après-midi là, il faisait une chaleur à crever.

J'arrive avec le frérot au terrain de jeu de la Soulane derrière la mairie. Je m'assieds sur le banc en dessous de l'arbre. Le long du terrain, la clôture qui nous sépare du pré sous la maison de Xavier. Il est sur sa terrasse, sous un parasol, en train de lire un bouquin. Tout d'un coup, il tourne son regard vers nous. Sans doute dérangé par les cris des gamins qui font du roller sur le terrain. Il me fait un petit geste de la main. Je réponds.

Il me crie quelque chose, mais je n'entends pas. Je me lève et m'approche de la clôture.

-- Alors, comment va Mademoiselle Charlotte?

-- Bien, merci. Il fait chaud, vous trouvez pas?

-- Si tu veux, viens te mettre à l'ombre ici. Je t'invite à boire un jus de fruits!

Eh bien, au moins, voilà qui va changer ma routine! Je fais le tour de la maison, descends le chemin sur trente mètres, ouvre le portillon, et me retrouve sur une terrasse de rêve. Xavier l'a fait paver de plaques gris bleutées qui rappellent la roche du pays, entourée d'un muret levé en pierres taillées. Sur la margelle, à l'ombre d'un cerisier et d'un prunus, une succession de pots de fleurs éparpillent leurs taches colorées sur l'arrière-plan vert de l'herbe du pré.

Et c'est comme cela que ça a commencé. Souvent, en accompagnant mon frère au terrain de jeu, je faisais un petit détour. Quand il ne faisait pas trop chaud, on s'asseyait tous les deux dans des chaises longues sur la terrasse, et puis on se parlait. De choses et d'autres. J'étais bien. Lui ne m'était rien. Juste un ami. J'aimais sa compagnie. Lui ne me faisait pas d'observation. Il ne portait pas de jugement.

Souvent il me racontait. L'époque où il était jeune homme. Quand il a rencontré la femme de sa vie. Ses enfants. Combien il s'est senti seul quand sa femme est partie. Il se confiait. J'étais très fière d'avoir sa confiance, du haut des mes dix-neuf ans. Visiblement, ces souvenirs l'attristaient. Ce d'autant plus que ses propres enfants s'étaient égayés aux quatre coins de la planète, et qu'il se retrouvait totalement seul.

En fait, il n'était pas si vieux qu'il pouvait paraître, ainsi que je l'avais supposé. Il venait juste de passer ses cinquante-cinq ans. Un jeune troisième âge, en quelque sorte!

Nos solitudes respectives nous avaient incontestablement rapprochés. Je passai une grande partie de mes après-midi à converser avec lui, dans la pénombre de sa salle à manger, où les contrevents étaient rabattus afin d'éviter la trop grande chaleur. Et il semblait goûter cette proximité, cette intimité que nous partagions. Je tenais tellement à notre amitié qu'il m'est même arrivé de le rejoindre à l'heure de l'apéritif, pour faire la « dînette » avec lui. Avec ce que je trouvais dans le frigo, je lui préparais un petit frichti que nous partagions avec des regards complices.

Et puis un jour, alors que le cagnard tapait à coups redoublés sur la vallée, me voilà de nouveau à franchir le seuil de sa terrasse.

Je me laisse tomber sur une chaise de jardin sous le parasol. Je me consume doucement dans la chaleur réfléchie par les dalles. Heureusement que j'ai laissé le gros pull à la maison. J'expose mes gros seins sous mon T-shirt. Mes cuisses vont faire craquer mon jean. Je dégouline et de grandes traînées humides plaquent le coton de mon vêtement sur mon buste. Si ça continue, je vais être couronnée Miss Wet Châteauneuf par KO! On va encore plus voir mes lolos. J'ai un soutif, mais bon... Les reliefs. Et puis m... il doit en avoir vus d'autres. Xavier est un chou. Il a été me chercher une boisson fraîche, cocktail de jus de fruit et d'eau pétillante. Il revient. Un regard bleu tendre.

-- Dis-moi, ma belle... Faut peut-être qu'on se mette au frais....

-- Ah oui!

Le cri m'a échappé. J'espère qu'il ne va pas me prendre pour une moins que rien, une fille mal élevée... On rentre dans la salle à manger. C'est une pièce comme on en trouve dans toutes ces maisons de pays. Un carrelage au sol. Une grande cheminée au fond. La fenêtre creusée dans l'épaisseur du mur est ouverte sur les contrevents quasiment joints. Un rai de lumière se faufile par le haut de l'entrebâillement. La fraîcheur nous soulage. En somme, une maison de pays qui garde la chaleur l'hiver et la fraîcheur l'été, en protégeant du plomb fondu qui coule à l'extérieur.

Deux fauteuils de rotin nous accueillent de part et d'autre de la cheminée. Je me laisse tomber et nous voilà tous les deux face à face. Il fait frais. Je m'étire. Je suis bien. Je le regarde. Ou plutôt, je le dévisage. Sous mes gros verres, je dois ressembler à un poisson derrière un bocal. La bouche décrochée. Tant pis. Je suis vraiment bien.

-- Alors, Charlotte, quelles sont les nouvelles...

C'est drôle de l'entendre parler, avec ses intonations de parisien. Mais il doit penser la même chose de mon accent du midi.

-- Bah! Pas grand-chose...

-- Dis-moi, tu sais que j'aime beaucoup tes visites, nos conversations, même quand on ne parle de rien en particulier. Mais moi, je suis un peu un vieux « schnok ». Tu dois bien avoir des copains de ton âge, non?

-- Pas beaucoup. C'est surtout les copains de mon frère...

-- Je suis peut-être très indiscret, mais comment ça se fait que tu es toute seule, comme ça?

-- Toute seule?

-- A ton âge, t'as bien un copain avec qui t'occuper? Je sais pas... Ecouter de la musique, vous évader à travers champs... Allez, je suis sûr que vous avez plein d'idées sur la façon de passer des moments agréables tous les deux... Non?

Attaque au foie. Non!!! J'ai PERSONNE. Je l'aime bien, et même plus, mais là, il me fout en colère, Xavier. Je sens que je vais le lui crier. Qu'avec ma trombine, mon œil qui se désintéresse de l'autre, y'en a pas un dans le paysage... Pire... Que moi non plus, ça ne m'intéresse pas! Pour ce que ça donne, après... Comme les parents... Mais y doit pas réaliser. Un rêveur. Un vieux. Déconnecté, qu'il est, pépé.

-- Xavier, t'as vu ma trombine?

-- Euh... Oui... Et alors, qu'est-ce qu'elle a, ta trombine, comme tu dis? Moi, je te dis qu'avec... allez... vingt ans, trente ans de moins..., je la trouverais très bien ta trombine...

-- Te moque pas...

-- Je ne me moque pas.

-- Avec mes verres en cul de lampe, et un œil qui veut pas voir à quoi ressemble l'autre...

Il me regarde. Il me fixe. Très attentivement. Je continue.

-- Et puis, dis-moi avec qui?

-- Bah... Ça doit pas manquer, non?

-- Rien!! Tu les a vus les gars, ici? Des machos... qui vont de biture en biture du vendredi soir au dimanche à l'aube... Tu vois, pour ces gars là... Ecoute les un peu un soir au café... Ce qu'ils disent des filles. Je vais te dire : c'est pas la tendresse, tu vois.

Alors, si c'est pour me faire troncher et me retrouver avec un lascar sous le tablier, et puis que ça fasse comme pour mes parents... vivre seule... Tu vois, ça, je pourrai pas.

-- C'est parce qu'ils parlaient devant leurs copains. Jouer les durs, pour pas avoir l'air... Mais quand ils le font, c'est sans doute différent, non?

-- Xavier, y'a qu'à toi que je vais dire ça. Promets-moi de jamais rien en dire à personne! Surtout pas à Maminou ou au Papet!

-- Est-ce que tu m'as déjà vu livrer un de nos secrets, à tous les deux?

-- Promets!

-- Je te promets...

-- Ben, tu vois... Je sais pas ce que ça fait, quand ils le font... J'ai jamais eu l'occasion...

-- Bon, Ok, je vois... Mais tu n'as jamais tenté le coup? Tu sais, même si tu crois que t'es pas assez belle... Ce qui n'est d'ailleurs pas vrai... Mais passons...

-- Pourquoi faire? Hein?

-- Le plaisir...

-- Le plaisir?

-- Eh oui, tu me parles de tendresse. Alors, le plaisir que l'autre te donnera... On ne t'a jamais parlé de plaisir?

-- Tu sais, ici, c'est pas des sujets de conversation...

-- Mais au moins, tu... comment dire... tu en as déjà ressenti, pour toi, comme ça, toute seule?...

-- Comment veux-tu?...

-- Attends, au lycée, jamais des copines ne t'en ont parlé? Jamais discuté... entre nanas?

-- Ouais, ben, tu sais, les filles qui discutent de ça... Elles se fichent bien de moi, alors c'est pas mes copines...

Il y eut un grand silence dans la pièce. On entendait juste les grillons qui crissaient sous le soleil. Puis, d'une voix douce, il a continué.

-- Ça te gêne, si je te parle de choses... plus... personnelles...

Je me suis sentie devenir toute rouge. Comme un coquelique, comme on dit ici. Malgré la fraîcheur, j'ai ressenti comme une suée, brutale. Puis une oppression. Ma poitrine s'est contractée. Ma respiration s'est suspendue. Puis a repris. Mon ventre s'est réchauffé. Que m'arrivait-il? Je fixai Xavier. La bouche ouverte. Une conne, quoi! Je savais pas quoi répondre, et en même temps, je voulais qu'il continue, qu'il précise. Ça devait être un truc important. Alors, dans un souffle :

-- Vas-y!...

-- Il ne t'est jamais arrivé de t'endormir en pensant à un garçon qui te plaise?

-- Y'en a pas!!! Ou alors... c'est pas possible!

C'est sorti comme un cri du cœur, et je m'étais un peu vendue... Il ne paraissait pas avoir entendu. Mais si. Parce qu'il a repris :

-- Pourquoi, pas possible?

-- Je sais pas...

-- Tu parlais pourtant de tendresse, tout à l'heure. Alors, de tendresse avec qui? Dis-moi?

-- Bah... avec un garçon, bien sûr. Plus tard...

-- Et qu'en attends-tu?

Quelle question il me posait là... Pour dire vrai, je ne m'étais jamais posé la question. Je vous ai déjà dit que je n'étais pas précoce. Alors après un grand moment d'hésitation pendant lequel il m'a regardée de ses yeux attentifs et patients, j'ai articulé péniblement :

-- Me trouver bien avec lui...

Il a dû trouver la réponse un peu courte. Alors il m'a guidée.

-- Par exemple, quelqu'un que tu puisses embrasser, câliner?...

Lui savait trouver les mots mieux que moi. Et plus que les mots, même. Les sentiments. Je me sentais toute chose. Presque prête à pleurer.

-- Ça doit faire du bien...

-- Et toi, tu rêves qu'il te câline?

Et là, j'ai repensé à l'impression que j'avais eue le soir chez moi, après qu'il ait dit à Maminou qu'il me trouvait belle. Et je pensai subitement que c'est lui qui pourrait me câliner. J'ai fondu. Je lui ai jeté un regard implorant.

-- J'aimerais bien...

-- Et s'il te câline, comme aimerais-tu qu'il le fasse?

Ouh, la, la!! Quelle question! Qu'est ce que je sais, moi? Je peux pas lui répondre des craques... Lui, il sait. Donc il le verra tout de suite. Est-ce que je réponds? Je vais avoir l'air d'une conne... Bon, comme ils disent aux cartes... Un coup pour voir...

-- Ben... Il me prend dans ses bras...

-- Et c'est tout? Tu crois que ça va te suffire au-delà de cinq minutes, qu'il te prenne dans ses bras?

Je repense à lui, à ce qu'il pourrait faire, lui qui me trouve belle...

-- Ben... J'sais pas...

Ça y est, je suis définitivement une cruche. Je vais pleurer. Je sens que je vais pleurer. Mais qu'est-ce qu'il me fait ch... avec ses questions à la con! Ça y est! Les larmes! De rage!

-- Charlotte... Ne pleure pas... Ce n'est pas grave...

-- Si! Si, c'est grave!

Et là, je me lâche. Je suis assise, tendue, sur le bord du fauteuil, agressive :

-- Puisque tu veux que je te dise! Eh bien, je vais te le dire! Et tu vas voir pourquoi ce n'est pas possible! Parce que... Parce que le seul qui ait jamais dit que j'étais belle... Parce que le seul qui m'ait regardée comme une femme... Parce que le seul qui m'ait détaillée alors que j'étais presque nue, en maillot de bain, qui a vu mes gros seins, mon gros cul, et qui a fini par dire que j'étais belle... Parce que le seul que j'imagine me câliner, eh bien... - là, j'hésite quelques instants, mais puisque je suis partie! - c'est toi! Maintenant, tu sais pourquoi ce n'est pas possible!

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