Coup d'Envoi Ch. 01

À moins qu'il ne s'agisse d'un rêve? D'un simple et foutu rêve dont son cerveau connaît le secret et qui ne fait qu'alimenter la frustration?

Soudain frappée par un éclair de lucidité, la jeune femme retrouva sa contenance et reprit le fil de la discussion en mettant de côté les innombrables questions qui la taraudaient. Elle bricola une vague réponse en prétextant qu'elles étaient dans la même promotion et qu'un quelconque travail de groupe les avait particulièrement rapprochées, sans pour autant donner lieu à une amitié naissante. Le mensonge n'était pas indispensable ici, Eris le savait, mais elle espérait que ces informations n'engendrent pas de nouvelles questions.

Elle n'avait qu'un seul souhait : celui de ne pas être déçue.

L'absence de montre aux poignets de la footballeuse préserva une partie de sa santé mentale, bien que la sortie régulière des autres joueuses l'entamât certes lentement, mais sûrement. Il n'y avait aucune raison que l'ailière droite adverse prenne ses jambes à son cou et esquive la courte « troisième mi-temps ». Non, Eris éprouvait seulement de l'impatience. Elle savait ce qu'il lui restait à faire, mais elle voulait être fixée sur son sort le plus tôt possible.

Ses deux amis embrayèrent sur un autre sujet de discussion qui ne la concernait pas, lui permettant de s'éclipser quelques instants. Elle s'empara d'une tranche de quatre-quarts, remit une lampée de jus de fruits dans son gobelet en plastique et balaya la pièce du regard.

Cible introuvable.

Depuis combien de temps n'avait-elle été contrariée à ce point?

Non loin de là, son frère lui fit un signe discret. Leur famille avait réservé une table dans un restaurant bien coté et il ne voulait pas arriver en retard sans raison valable. Eris lui indiqua qu'elle avait encore besoin de cinq minutes, puis alla se placer juste à la droite de son entraîneur qui était en grande conversation avec le coach du club voisin. Elle n'avait pas de question urgente à lui poser, répondant à son regard inquisiteur par un air décontracté et rassurant, mais voulait justifier les secondes de gratter en attendant poliment la fin de leur échange.

Au bout de ce qui lui parut une éternité, une nouvelle silhouette apparut dans le hall adjacent à la salle. Vêtue d'un jean bleu foncé, d'un haut blanc et d'un boléro noir sans manche, la nouvelle arrivée scrutait les environs, faisant de petits pas à droite et à gauche pour tenter d'apercevoir quelqu'un ou quelque chose en dehors de son champ de vision. Eris s'excusa auprès des deux hommes et partit à sa rencontre.

— Je peux vous aider, mademoiselle?

Son interlocutrice pivota, ses boucles d'oreilles discrètes réfléchissant la lumière du plafonnier pendant une fraction de seconde. Deux piercings vert émeraude arboraient désormais son sourcil gauche. Elle ne semblait pas surprise d'être abordée de la sorte et répondit d'un ton faussement sérieux.

— Merci bien, très chère. Je ne faisais qu'admirer la splendeur de vos locaux et votre style architectural éblouissant.

— Vous avez le coup d'œil, mademoiselle. Cette tôle ondulée du XXIe siècle tirant sur le beige et la couleur taupe est une petite merveille locale dont on ne saurait vanter suffisamment les vertus. Puis-je vous convier dans la salle de réception pour y déguster un millésime de notre terroir et des amuse-bouche savoureux?

La jeune femme aux cheveux courts pouffa de rire. L'une de ses mèches tomba sur son front et fut remise en place dans la seconde qui suivit. Sans la moindre réticence, elle accepta volontiers l'invitation et emboîta le pas à Eris qui se dirigea vers l'embrasure de la porte et s'arrêta à portée de bras de celle-ci.

— Par ici, je vous prie. En raison d'un planning pour le moins contraignant, je ne puis malheureusement me joindre à vous pour la dégustation... (Eris prit une profonde respiration, et continua) mais peut-être pourrions-nous envisager une nouvelle visite?

Whaou. « Peut-être »? « Pourrions-nous »? « Envisager »? T'es sérieuse, Eris? C'est quoi le but du jeu, d'être la plus hypothétique possible? Reformule-moi ça tout de suite!

— En fait, je me disais que ce serait cool qu'on se revoie. Parce qu'on a l'air de bien s'entendre, on pourrait s'entraîner ensemble et...

— ... faire connaissance?

Difficile de dire laquelle des deux était la plus joyeuse. Eris hochait la tête avec ses fossettes particulièrement visibles tandis que sa nouvelle amie la regardait avec des yeux étincelants. Cette dernière plongea sa main dans la poche arrière de son jean. Elle en sortit un portefeuille en cuir noir qu'elle s'empressa d'ouvrir, puis dégaina une carte de visite.

— Tiens, ce sera... probablement plus simple comme ça.

Eris reçut le petit carton et ses joues s'enflammèrent. Les informations qu'il contenait, en particulier les coordonnées, étaient plus que suffisantes pour l'instant. Une nouvelle pulsion la fit avancer d'un pas, puis de deux, puis de trois : ses chaussures de sport blanches et noires se plièrent une quatrième fois pour gagner en hauteur et la jeune femme déposa un baiser sur sa joue droite.

— Merci Mona... merci beaucoup. On s'appelle!

La dénommée Mona resta paralysée un moment. Son adversaire du jour était décidément un bel adversaire.